LA NUIT
J’habite l’immense et haut château de tout l’amour d'elle à moi donné
Son pont levis n’a pas été dressé depuis au moins la nuit des temps
Des giroflées bariolées et mordorées et de vertes mousses
S’y aventurent discrètement et très timidement y poussent
Les grilles de ses poternes se couvrent de rouille poudreuse et colorée
J’y vis comme je peux avec rien que deux grands lévriers afghans
Cela aux miracles absents ne me rend pas pour autant plus élégant
L’un de ces deux a de très très grands yeux bleus mais l’autre pas
Je ne sais vraiment pas du tout pourquoi c’est ainsi comme cela
Pourtant ils m’ont été dits et offerts comme paire de jumeaux
Jamais de la vie ni de jour ni de nuit ils n’aboient cela ferait trop d’écho
Dans les dédales minotauriens et tortueux des murs du château
En fin de journée la nuit belle sans bruit vient et chez moi s’invite
Elle est en inouïe d’être ainsi nue sous une immense robe noire
Avec le plus grand des soins à être dépeignée toujours elle tient
Peut être pour que je me sente un tout petit peu moins ermite
Pour elle chaque soir je prépare toujours avec tendresse un ciboire
Elle n’arrive pas à y boire sans devoir aussi caresser les chiens
J’aime bien qu’elle les ait ces petites manies comme cela dérisoires
Si vous pouviez la voir vous verriez comme elle est alors toute petite
Mais aux jeux des flambeaux son ombre devient celle d’une géante
On croirait en intense qu’elle danse tant cela la rend si vivante
La nuit et moi on s’est bien rencontré il y a très très longtemps
Précisément à l’instant du tout premier jour de ma naissance
J’avais si peur j’étais tant tremblant et tellement terrifié
Elle me fit cadeau d’un doudou fait uniquement de silence
Cela m’allait très bien m’a finalement bien apaisé et rassuré
Côté berceuse par contre son répertoire était et est très limité
La lune et pas mal d’étoiles et l’univers bien trop immense
Mais entre nous cela a créé une belle et intense intimité
Les années passant cela a tissé entre nous une réelle affection
Parfois j’inverse les rôles alors c’est moi qui à mon tour la berce
J’aimerais pour bien faire ça être le plus grand des champions
Je lui raconte le noir et les nuages invisibles qui la traversent
Je sais tout de suite si mon histoire lui plait si elle est à son goût
D’un doigt elle me caresse le dessus de la main ou bien la joue
Entre nous c’est si fort et encore que je sais même traduire ses silences
Le moment le plus déchirant est lorsqu’arrive le jour et qu’elle doit partir
C’est du si dur du tant cruel que l’on fait terriblement semblant de rire
En plein jour j’ai déjà essayé de plonger tout le château dans le noir
D’allumer tous les flambeaux de celui-ci de remplir à raz bord le ciboire
Mais cela n’a fait que rendre son absence plus immense et plus effroyable
Même les deux chiens l’on comprit pendant des heures ils ont gémi pitoyables
La nuit suivante celle-ci est arrivée avec un air grave en étant soupçonneuse
Elle avait crû que j’avais voulu la tromper même son ombre en était malheureuse
Ma tête posée sur ses hanches il m’a fallu toute une nuit blanche et entière
Pour lui expliquer que c’était pour et par elle ne pas me sentir abandonné
Elle m’a consolé en me parlant de troncs de murs et des attachements des lierres
Dit que cela faisait des éternités qu’elle prenait en obscurité la place des soleils absents
Que j’étais un bien drôle d’oiseau pour toujours quand il fait jour ainsi paniquer
Puis sans rien dire elle partit mais est très vite revenue avec pour moi un présent
Elle m’a offert une clepsydre sablier ne fonctionnant qu’avec des gouttes de rosée.
Aujourd’hui j’habite toujours le haut château de tout l’amour d'elle à moi donné.........