de choses et d'autres sur le chemin des mots

PHOTOS MANQUEES

PHOTOS MANQUEES

Mise à nu

Pourtant j’aurais été enclin à te coucher sur le papier glacé.

Je t’aurais mise sur un canapé de hasard et t’aurais baignée de la lumière matinale. Ton regard, tes yeux en amande auraient encouragé ma demande.

Dévêt-toi...Veux-tu ?

Tu aurais su garder le désordre de quelques tissus, organisant ainsi le décor où en te regardant, c’est moi qui me serais retrouvé nu.

 

Hospice départemental

C’était il y a très longtemps, je côtoyais souvent ces très hauts murs tachés de giroflées. Un jour je m’enhardis et franchis la très grande porte qui en gardait l’entrée. Un haut grillage tranchait, en deux parties, une cour immense, séparant ainsi les hommes et les femmes. Une houle de vieillards en parcourait les pavés usés, parfois l’aileron d’une cornette en fendait les eaux.

Amarrés aux mailles avec leurs doigts ridés, quelques couples improbables tenaient conversation, brisant ainsi, l’absurde interdit imposé.

Tu étais assis là, seul sur un banc, à peine plus âgé que moi, tes pieds ne touchant pas le sol en attestaient. Bras en équerre, ongles tournés vers le ciel, tu tenais obstinément serrée dans ton poing droit, une balle aux couleurs délavées.

Comme on prend dans ses bras, comme on guérit, j’aurais aimé, en te photographiant, fixer sur la pellicule, ne serait-ce qu’un instant, ce balancement psychotique qui t’animait.

 

Rousse

Frisés, tes cheveux jouaient avec le soleil. Assise sur les genoux de ta mère, tu pétillais. Tu avais l’âge où l’on joue avec la vie. Avides, tes yeux verts papillonnaient. Tu voyais tout, ne regardais rien. C’était couru d’avance, rien qu’à la vue de l’appareil, mutine et poseuse, tu aurais tout fait pour gâcher la photo.

 

Lyon

Tu allais franchir la passerelle piétonne qui mène à Fourvière. Ta démarche était ample, un peu féline, ton sillage évoquant un inaudible manbo.Tu portais chapeau et costume trois pièces, crème, presque blanc, contrastant avec la noirceur de ta peau.

Impeccable... Tu étais beau et le savais. Rien qu’à te regarder, on imaginait avec quelle élégance tu aurais manié une canne. Les années avaient ridé ton visage, mais ces signes du temps qui passe, tu les portais avec fierté. Tu étais en représentation et tu te serais, au jeu de la photo, sans doute bien volontiers prêté. Pour une raison obscure, j’ai préféré te garder en éternel promeneur, pour ne t’évoquer que par le biais de l’écriture.

 

Michel Astégiano