de choses et d'autres sur le chemin des mots

N’ÊTRE

N’ÊTRE

 

N’insiste pas, je ne répondrai pas à ta question. Tu as beau dire que celle-ci est anodine, c’est non.

D’ailleurs que pourrais-je dire à ce sujet ? Te parler de cette envie d’Islande, où je me projette en cavalier improbable entre volcans et geysers, de ce désir d’être dans ce monde minéral, pour me confronter à la question de savoir si c’est un monde qui commence ou un monde qui meurt.

Saurais-tu comprendre ce désir d’être, ne serait-ce qu’un jour, un oiseau ? Ce besoin que j’éprouve en vain, d’être au moins une fois l’autre afin de connaître sa peur, sa douleur et sa joie.

A quoi cela t’avancerait-il de savoir que je ressens que l’amour de ma vie me sera toujours une étrangère ? Que je voudrais être la main qui caresse et la peau qui reçoit, que je voudrais retrouver cette sensation où l’on fait l’amour à l’autre rien qu’avec un regard. Comment pourrais-je entrouvrir le jardin des désirs sans que s’y engouffre le chiendent des regrets.

Que voudrais-tu faire avant de mourir. C’est quoi cette question ?

Ce n’est pas mourir qui me gêne, c’est le mot « faire ». Moi je voudrais être, faire n’est que péripétie.

J’ai une eau qui m’habite, des feux qui rougeoient, je voudrais me prendre dans mes bras, me rassembler pour me ressembler, être dans l’effusion pour être encore plus moi.

Comme une gouape, j’exhibe mes cicatrices. La vie nous fait mercenaire, poussant devant soi la fierté des combats. Notre seule gloire étant d’avoir survécu, alors que nous n’avions pour armes que la peur et les larmes. Seule la volonté de vivre nous anime.

Je vois ton regard et ton sourire désavouant mon lyrisme. Pourtant en parlant ainsi, je parle vrai, écoute-moi encore un instant.

Toute destinée est héroïque. Le nourrisson renonçant au sein pour l’objet biberon, l’enfant qui fait ses premiers pas, la confrontation aux autres, la mère qui s’éloigne et la mise en péril de l’entrée en amour, tout concourt à faire de nous des héros. Rien que le rire est déjà un défi.

Nous sommes sur cette terre qui tourne sur elle-même, et même si l’on essaie de se rassurer avec la lune, cette terre tourne aussi autour du soleil, autour d’un soleil perdu dans l’immensité galactique. Poussière parmi les poussières, on se voudrait immobile, alors que l’on glisse vertigineusement sur le toboggan du temps. De la connaissance, le tribut est lourd car nous nous savons dans le couloir de la mort. C’est un couloir sans mur, sans sol ni plafond : nous marchons sur le fil tendu de la vie. Au bout de nos bras chétifs, deux mains tiennent un immense balancier. Tout est histoire d’équilibre entre l’être et le faire semblant.

S’il existe, sous sa pile de disques, le DJ céleste garde pour nous un requiem. Celui de Berlioz serait pas mal. Il est le seul à y avoir mis la colère et la révolte, ultime indice du vivant.

Mais où est donc l’Icare qui est en moi ? Je médite et m’édite au cherche midi à 14 heures. Je me centrifuge, me fait derviche tourneur de ma pensée. Je me fais un sang d’encre pour plaquer les idées sur le papier. Sous la blancheur neige de celui-ci, il y a des océans de boue. Je me berce de l’illusion qu’un jour un autre remarque quelques traces et se dise : «un jour, un homme est passé, et il était debout.»

Je n’en ai rien à faire de ta question, je ne veux qu’être, le comprends-tu ?

 

Michel Astégiano